dimanche 14 juin 2015

La route




« L’étrange — l’inquiétante route ! le seul grand chemin que j’aie jamais suivi, dont le serpentement, quand bien même tout s’effacerait autour de lui de ses rencontres et de ses dangers — de ses taillis crépusculaires et de sa peur — creuserait encore sa trace dans ma mémoire comme un rai de diamant sur une vitre. On s’engageait dans celui-là comme on s’embarque sur la mer. À travers trois cents lieues de pays confus, courant seul, sans nœuds, sans attaches, un fil mince, étiré, blanchi de soleil, pourri de feuilles mortes, il déroule dans mon souvenir la traînée phosphorescente d’un sentier où le pied tâtonne entre les herbes par une nuit de lune, comme si, entre ses berges de nuit, je l’avais suivi d’un bout à l’autre à travers un interminable bois noir. »

Extrait de La route, de Julien Gracq, 1970, dans le recueil La presqu’île, José Corti, p. 9-10.


Entretien Gracq

Le livre abandonné dont parle Gracq dans cet entretien a été publié après sa mort sous le titre « Les terres du couchant« . On y retrouve ce passage dans les pages 75 à 93. Etrange de voir ce livre publié alors que de l’aveu même de son auteur, le moteur de la narration qui devait l’animer avait calé en route…

Entretien Gracq 2

Ce fragment intitulé La route est sans doute l’un des plus beaux textes que j’ai lu.