vendredi 10 décembre 2010

Pas n'importe qui



Ce n'est pas n'importe qui, l'auteur de Le grand n'importe quoi. C'est Jean-Pierre Marielle.
C'est un comédien que j'apprécie beaucoup. Non qu'il n'ait joué que dans des grands films, mais dans l'un d'eux il a bien failli me faire mourir de rire et dans bien d'autre j'ai admiré sa prestance: voilà un homme qui conjugue dignité et originalité.
Il est venu à l'Armitière il y a quelques semaines. Depuis très longtemps j'avais envie d'assister à des rencontres organisées par cette librairie; celle-ci aura donc été la première.
A l'étage des chaises avaient été installées, et lorsque je suis arrivée, en avance, il ne restait plus que quelques places assises. Au final le public était nombreux pour écouter monsieur Marielle. Public assez crispant d'ailleurs, du moins pour sa partie expressive: les gens qui ont posé des questions ou sont intervenus étaient assez pénibles, comme persuadés de détenir la vérité sur Jean-Pierre Marielle, et comme si cela revêtait une importance capitale. Ils étaient à fleur de peau, manifestement en recherche d'une reconnaissance qui m'a mise mal à l'aise.

Alors que lui, il était bien loin de tout cela.

D'abord, monsieur Marielle est un vieux monsieur. Et dur de la feuille. Il n'a donc pas entendu les questions ou les interventions hors micro.
Ensuite, il n'avait d'yeux que pour son épouse. Et il n'a donc pas vu l'agitation de ses fans sautillants.
Enfin, il ne se prend pas assez au sérieux pour accorder de l'importance à ce genre de choses.

Son livre, Le grand n'importe quoi, présente "l'inventaire d'une vie, entre nécessités et passions, vifs contentements et déceptions", au fil de conversations avec son gendre et organisées par ordre alphabétique: de "âge" à "zut".
Je ne suis pas habituée à ce type d'ouvrage, espèce d'autobiographie partielle. Lire la vie de quelqu'un à l'"existence imprévue" est toujours intéressant, et la retenue dont Jean-Pierre Marielle fait preuve rend la lecture agréable, même si elle n'est pas marquante.

Quelques extraits de son livre, mêlés à quelques réflexions lors de sa venue:
"Lorsque nous ne faisons pas de conneries de notre propre chef, la nature s'en mêle."

"Instinctivement, je refuse ; ensuite, j'envisage de revenir sur la décision."
"Je n'ai pas fait carrière, j'ai fait des rencontres."

"Suggérer d'emblée qu'on nous foute la paix est la meilleure stratégie pour ne laisser venir à nous que les plus opiniâtres, les meilleurs. Cette distance hérisse de piques notre bulle, pour tenir en respect les inquiétudes et les importuns."
"J'ai hésité à appeler mon fils Ingmar ou Bergman, alors au final je l'ai appelé François. Comme Villon; ce n'est pas si mal!"

"J'aime autant être seul que rencontrer des gens (...) Je suis un misanthrope mondain, un solitaire bavard."

"Je ne sais pas jouer du saxo ténor, alors je me contente de faire le clown."

"Je hais les optimistes (...) Les gens qui vont bien, qui le proclament fièrement sans cesse, me désolent. Je ne peux leur accorder ma confiance: ils ont trop à perdre pour être fidèles et honnêtes."

Alors que je partais, une admiratrice demande à Jean-Pierre Marielle: "Vous incarnez tellement intensément vos personnages, combien vous faut-il de temps pour sortir de votre rôle?"
Marielle regarde dans sa direction, sourit aimablement et répond, de son incroyable voix: "Oh , chère madame, quand je passe la porte du studio, je pense à autre chose."

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