dimanche 18 janvier 2009

Une histoire contemporaine du pain


L’historien Steven Kaplan, spécialiste de l’histoire du pain, mène l’enquête sur un fait divers datant de 1951. En août 1951, le pain tue dans la ville de Pont-Saint-Esprit : cinq personnes meurent et plusieurs dizaines sombrent dans la folie pour trois cents intoxiqués.
L’ouvrage de Kaplan revient sur la source de l’empoisonnement et pointe les négligences de la justice de l’époque. C’est l’ergot mélangé à la farine de blé qui a été désigné comme la cause du drame. En 1951, l’Office national interprofessionnel des céréales (ONIC), administration née avec le Front populaire, règne sur l’organisation de l’approvisionnement. L’ONIC devait assurer à la fois de bons tarifs aux producteurs de blé et des prix bas aux consommateurs de pain. Problème politique quasi insoluble.
Dans plusieurs départements approvisionnés, la qualité déplorable de farines à la couleur, à l’odeur et au goût douteux avait suscité des cris d’alarme. Non seulement ils ne furent pas entendus, mais l’ONIC poussa toujours à accroître la production en maximisant le taux d’extraction et en ajoutant les farines d’autres céréales. La responsabilité de l’organisme dans le drame de Pont – Saint – Esprit a été cachée par les autorités politiques de l’époque
L’historien replace les faits dans le contexte de l’après-guerre et de la peur ressuscitée de la pénurie. Le pain retrouve en effet alors (pour la dernière fois ?) son rôle d’aliment par excellence.
Après une présentation de la petite ville de Pont-Saint-Esprit (chapitre 1), S. Kaplan s’attache à décrire (chapitres 2 à 6) la filière blé-farine-pain et ses principaux acteurs : l’État, puis la meunerie et la boulangerie. Il relate ensuite le drame avec un portrait du boulanger et par l’étude des malades et de la maladie (chapitres 7 et 8), puis par l’enquête de police (chapitres 9 et 10). Puis vient le temps des batailles d’experts et de la recherche des causes (chapitres 11 à 14) : ergot de seigle, LSD ou pollution au mercure (hypothèses privilégiées par les enquêteurs et la justice), mais aussi processus de blanchiment artificiel du pain, la pollution des eaux, des champignons. Enfin S. Kaplan s’intéresse aux suites judiciaires de l’affaire (chapitres 15 et 16), en particulier à travers l’organisation des victimes et la défense des accusés, et à ses conséquences sur les stratégies de la meunerie et de la boulangerie (chapitres 17 et 18).
Steven L. Kaplan, Le Pain maudit. Retour sur la France des années oubliées, 1945-1958, Fayard, Paris, 2008, 1 136 pages.

Cela fait longtemps que je n'ai pas lu une analyse historique (depuis le Paris de Baldwin) et celle-ci me tente bien, bien qu'il s'agisse d'histoire contemporaine.

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