dimanche 22 février 2009

Le métier de vivre

Comme ma lecture de Fantômes et kimonos est rapide, je me penche sur ce que je vais lire ensuite. Le métier de vivre de Pavese m'attire, dans sa version intégrale qui vient d'être publiée par les éditions Gallimard, dans la collection Quarto.
j'ai déjà eu plusieurs fois l'envie de me lancer dans la lecture de cet auteur, réputé difficile. C'est l'occasion...
Sans doute y trouverais-je de quoi alimenter ma réflexion ?

samedi 21 février 2009

Du dépaysement


J'ai commencé la lecture de Fantômes et kimonos, offert par des amis lors du réveillon du jour de l'an. Il s'agit de courtes nouvelles se déroulant au Japon, au XIXe siècle, qui racontent les enquêtes d'un "détective" au service des autorités.
J’aime la civilisation japonaise dans sa complexité et sa pureté et le dépaysement que procure cette lecture. Le style est simple et concis. Il s’agit là d’une lecture distrayante et assez reposante.

samedi 14 février 2009

Une bonne nouvelle ?

Des nouvelles de Borges, lues chez Pierre Assouline. Certains politiciens argentins ont en effet déposé une réclamation officielle afin de faire revenir la dépouille mortelle de l'auteur dans son pays d'origine alors qu'il repose actuellement en Suisse, sa patrie d'adoption.
Plus intéressant pour les lecteurs de Borges, il semblerait que les deux volumes de la Pléiade puisse reparaître un jour, le traducteur Jean Pierre Bernès ayant accepté les modifications demandées par le médiateur commandité par la veuve de l'écrivain. Mais rien n'est fait encore...

L'adieu à Nantes

J'ai terminé "La forme d'une ville" ce matin, comme je n'arrivais pas à dormir. Et j'y ai trouvé un beau cadeau, dans les dernières pages, sous la forme de l'adieu de Gracq à sa ville de Nantes. Elles sont parmi les plus belles pages que j'ai lues.

« En fait, , cette séparation n’eut pas lieu à la fin de ma dernière année scolaire à Nantes, dans le brouhaha rituel de la distribution des prix, lequel me sembla n’ouvrir une fois de plus mécaniquement, comme les années précédentes, que sur les seuls deux mois et demi de vacances réglementaires. Elle eut lieu l’année suivante, lorsqu’après une année déjà passé à Paris, je partis pour Londres où je devais perfectionner mon anglais pendant les grandes vacances. Je quittais la France pour la première fois : je me souviens avec une netteté particulière de ce départ ; je m’en suis souvenu quand j’ai écrit le début du Rivage des Syrtes. Je devis prendre de très bonne heure à Nantes l’express Bordeaux - Dieppe, qui faisait halte à la gare de l’Etat, et j’avais demandé l’hospitalité pour une nuit encore à ma grand’tante, qui m’avait servi de correspondante toutes mes années de lycée. Quand je poussai une dernière fois derrière moi la porte du jardinet de la rue Haute – Roche, le jour qui se levait avait cette rémission limpide, bénigne, d’après-matines, encore peuplée par le seul chant des oiseaux, qu’évoque toujours pour moi le titre d’un roman d’André Dhôtel que je n’ai pas lu : Les rues dans l’aurore. Un tramway descendait à vide la route de Rennes, avec le bourdonnement isolé d’une première abeille sur sa ligne de vol. Le vide des rues au petit matin, dont je prenais conscience pour la première fois, me paraissait magique ; il faisait merveilleusement frais et calme, je marchais dans la ville comme on marche dans les allées mouillées d’un jardin, avant que la maisonnée se réveille. Arrivé au pont Morand, je pris par le quai des Tanneurs et le quai d’Orléans ; quand je traversais l’île Feydeau, un rai de soleil jaune-rose, sur ma droite, atteignait l’extrême bord supérieur des façades. La ville, rue après rue, prenais congé de moi, souriante ; le temps en était venu ; ce qui flottait sur cet adieu, c’était un sentiment de légèreté sans ombre ; nous étions quittes, et nous nous trouvions à l’unisson dans cette chanson d’aube si insouciante : je n’avais pas été heureux ici, mais je ne quittais pas le port sur lest ; j’avais beaucoup engrangé. Je regardais avec amitié les rues silencieuses, les sinuosités creuses, familières, du moule que j’allais maintenant évacuer : ce n’était pas là seulement une ville où j’avais grandi, c’était une ville où, contre elle, selon elle, mais toujours avec elle, je m’étais formé. »

Je crois que j’aurais aimé vivre un moment comme celui là et être capable de le retranscrire aussi pleinement, précisément.

mercredi 11 février 2009

Etre la pierre de patience de quelqu'un

Le lycée où je travaille a eu le plaisir de recevoir l'écrivain Atiq Rahimi, lauréat du prix Goncourt, venu parler de son livre "Singué Sabour, pierre de patience", devant de nombreux élèves et quelques professeurs.

Les élèves avaient préparé une série de questions auxquelles l'écrivain a répondu de bonne grâce, en tentant plusieurs fois, malicieusement, de les retourner à son interlocuteur. Je n'ai malheureusement pu assister qu'à la première heure de l'exercice, ayant cours ensuite.
Deux élèves ont d’abord lu un passage du roman, la toute fin du texte. Un texte dur, rapide et d’une grande violence auquel je ne m’attendais pas, n’ayant pas encore lu le livre.

Atiq rahimi a ensuite remercié les élèves de l’accueil qui lui était fait et à évoquer les six ans qu’il a passé à Rouen, à étudier la littérature et le cinéma.

La première question posée concernait la source d’inspiration du roman. Le romancier a expliqué que c’était le meurtre de la poétesse afghane Nadia Anjuman, tuée par son mari, et à qui le livre est dédié. Atiq Rahimi devait participer à une conférence organisée par cette femme au moment de son assassinat et il a décidé de partir en Afghanistan pour « enquêter » sur sa mort et sur la condition des femmes afghanes. Ce fut l’élément déclencheur à l’écriture du roman.

Un élève lui a demandé ensuite s’il écrivait déjà alors qu’il était à Kaboul. L’écrivain a commencé par composer des poèmes à l’âge de treize ou quatorze ans, puis de courtes nouvelles d’une page ou une demi – page. En arrivant en France, il a abandonné l’écriture car il voulait se consacrer au cinéma. Il ne voyait pas l’intérêt de raconter des choses en persan dans un pays où personnes ne les lirait.

Quel rapport y-a-t’il entre le titre du roman et l’homme allongé, condamné à l’immobilité ? Atiq Rahimi a profité de cette question pour rappeler ce qu’est une pierre de patience. Il s’agit d’une pierre « magique » sur laquelle on peut déverser tous ses malheurs et ses secrets. Pleine, la pierre finit par éclater et on est délivré. L’homme paralysé du roman devient bien sûr la pierre de patience de sa femme, qui lui dit alors toute sa frustration.

Questionné sur son exil en France et sur ses conséquences, il a évoqué la prise de distance, nécessaire au travail d’écrivain. L’éloignement change le point de vue et modifie la vision que l’on a de son milieu, de sa culture, de son pays.

Une élève a ensuite voulu savoir si l’écrivain était sensible aux retours des lecteurs sur son roman. Il a répondu par l’affirmative, rappelant qu’il écrit d’abord pour des lecteurs. Il a ensuite interrogé l’élève sur ce qu’elle a pensé du roman. Elle a répondu l’avoir trouvé triste et un peu long, avec des répétitions. Ce à quoi, l’auteur a expliqué qu’il voulait partager une expérience avec le lecteur. Il voulait que le lecteur, par les répétitions et l’usage du présent, soit dans la situation de cette femme ou plutôt qu’il devienne une pierre de patience à son tour.

Interrogé sur cette fin brutale et ambiguë, Atiq Rahimi explique qu’il a écrit d’autres fins, trop banales. Il a voulu jouer avec le langage cinématographique et faire un « clin d’œil » à la tragédie grecque. La fin contraste avec la lenteur générale du récit et elle témoigne de l’impatience de l’auteur.

Alors qu’un élève lui demande ensuite ce qu’il pense de la situation actuelle en Afghanistan, Atiq Rahimi lui retourne la question. L’élève avouant qu’il ne connaît pas la situation de ce pays, l’auteur déclare qu’elle est catastrophique mais qu’il ne veut pas sombrer dans le pessimisme. Il relate alors le mot d’un auteur kurde, attribué à son grand – père : « nous avons eu un passé tragique, nous vivons un présent catastrophique, mais heureusement, nous n’avons pas d’avenir »… l’écrivain d’origine afghane explique ensuite que la situation de son pays dépend de la stratégie géopolitique mondiale et que le pays sous tutelle est entouré de pays « chauds ». Il rappelle que l’Afghanistan a connu trente ans de guerre (soit deux générations d’enfants n’ayant connu que cela). Les Afghans ont selon lui perdu confiance en eux-mêmes et dans les étrangers. Le pays compte 95 % d’analphabètes et 60 % de la population a moins de 15 ans.

Une élève lui demande ensuite pourquoi il a choisi de montrer une femme musulmane « crue » et vulgaire, loin de la représentation que s’en font les occidentaux ? Atiq Rahimi répond que malgré le poids des traditions, du système politique et de la religion, les femmes afghanes ne sont pas « seulement » ce que les médias montrent. Il y a un décalage entre la vie familiale, intérieure, et la vie sociale. Les femmes afghanes jouent un grand rôle à l’intérieur de la maison et elles s’y expriment, alors qu’elles ne peuvent le faire à l’extérieur.

Cette femme est-elle le porte – parole de l’auteur ? Il voulait au départ adopter le point de vue de l’homme immobilisé, mais cette femme s’est glissée en lui durant l’écriture, elle a pis la place. Comme « une voix enfouie en moi depuis des siècles ». Pour dresser ce portrait, Atiq Rahimi a rencontré des femmes afghanes, dont de vieilles femmes qui initiaient les jeunes mariées à la sexualité et les accompagnaient au pied du lit nuptial.

Une élève revient sur le début du roman et la description de la pièce vide, au centre de l’action. Atiq Rahimi explique cette longue description objet après objet pour poser l’ambiance. Cette pièce est aussi une métaphore du livre et de l’écriture de l’auteur : simple et minimaliste. L’auteur déclare avoir une écriture « instinctive », derrière laquelle il n’y a pas tant de choses cachées, pas consciemment du moins. Il donne exemple du passage de la mouche, très commentée. Il y avait une mouche dans la pièce où il écrivait et il n’arrivait pas à s’en débarrasser, aussi l’a-t-il tuée dans le roman. Et puis ensuite, il s’est rendu compte que cette mouche avait trouvé sa place dans l’histoire, malgré lui.

Pour terminer (pour ce que j’ai pu entendre du moins) on interroge l’auteur sur les conditions de son écriture. Il déclare qu’écrire en français est un acte difficile pour lui. Il écrit d’abord l’histoire, très rapidement (une nuit pour « Pierre de patience ») et la laisse « reposer » deux ou trois mois. Il retravaille ensuite l’histoire en faisant des recherches et des lectures et la laisse à nouveau. Il y revient ensuite pour travailler le texte, la langue, à l’aide de dictionnaires et de livres de grammaire. Le tout en s’isolant et en écoutant de la musique. Mais un livre n’est jamais fini, selon lui, « il y a toujours un petit mot qui n’est pas à sa place ».

Une belle rencontre pour un texte qui m’attire maintenant.

dimanche 8 février 2009

Pour quelqu'un

Deux citations pour aujourd'hui, qui peuvent aider.

"Les temps sont mauvais
Soyons bons
Et les temps seront bons
Car nous sommes le temps"

(Saint Ignace de Loyola)

"Il en est des livres comme de nos nouvelles connaissances. Au premier moment nous sommes très satisfaits, lorsque nous trouvons en eux des sentiments qui sont conformes aux nôtres, lorsque l’auteur sympathise avec quelque point essentiel de notre existence ; mais lorsque nous faisons plus ample connaissance apparaissent toutes les différences. Et dans ce cas, une conduite sage consiste principalement, non pas à se retirer aussitôt, comme il arrive dans la jeunesse, mais au contraire à s’attacher fortement aux principes sur lesquels on s’accorde, à s’expliquer complètement sur les différences, sans pour cela renoncer à ses opinions."
(Goethe : Maximes et réflexions, trad. Sigismond Sklover , p.91, Brockhaus et Avenarius, 1842)

samedi 7 février 2009

Lire en marchant sous la neige

Je reviens d’une balade dans les rues de Rouen, tôt ce matin. Je lisais Gracq tout en marchant, exercice périlleux mais plaisant. Et soudain, la neige s’est mise à tomber, d’abord doucement puis plus fort.

Autant je n’aime pas marcher dans la neige, autant j’apprécie de me promener dessous.

J’ai presque terminé « La forme d’une ville ». C’est un livre étrange. Gracq y raconte sa ville de Nantes dans un récit très personnel regorgeant de souvenirs. Cela pourrait ne pas intéresser, et pourtant ce n’est pas le cas. Son regard de géographe affleure en permanence et son discours sur la mutation de la ville, quoique poétique, serait presque transposable en cours.
Lire ce livre m’a redonné envie d’aborder la géographie par la littérature. Il est juste dommage que les élèves que j’encadre ne soient plus capables de cet exercice, même et surtout pas les classes « littéraires ».
Mais après tout, si j’ai des premières L l’année prochaine, pourquoi ne pas le tenter. Cela me sortirait de cette routine de cours relativement sordide.

mercredi 4 février 2009

Une vue de Rouen

Je poursuis ma lecture de Gracq. Je suis tombé sur un passage qui concerne la ville de Rouen, ma ville.

"A Rouen, où le fleuve tire une ligne de démarcation rigide entre le noyau de la cite et les dépendances de Sotteville, c'est plutôt d'une ségrégation qu'il s'agit : à la rive nord les beaux quartiers, à la rive sud les communs industriels, les entrepôts, les manutentions salissantes ou polluantes, les faubourgs usiniers. J'avais le sentiment très vif, pendant la guerre, quand je débarquais du car à son terminus au sud de la Seine, ou quand je reprenais dans la petite gare enfumée de la rive gauche, à Saint Sever, le curieux train de nuit pour Caen (...) de quitter ou de retrouver, en passant les ponts la zone que dessert dans un immeuble l'escalier de service."

Cette description reste vraie aujourd’hui, même si l’aménagement d’un tramway entre les deux rives a rendu cette ligne plus perméable. Cette limite est encore présente dans les esprits, je le vérifie tous les ans auprès de mes élèves.
La prochaine fois que je travaillerais sur l’espace urbain de Rouen, j’utiliserais ce passage de Gracq. Cela me rappellera le début de ma carrière, lorsque je faisais travailler des élèves sur l’utilisation de la géographie par les romanciers. J’avais d’ailleurs proposé Le rivage des Syrtes à des premières littéraires… Je ne doutais vraiment de rien, à l’époque !