samedi 14 février 2009

L'adieu à Nantes

J'ai terminé "La forme d'une ville" ce matin, comme je n'arrivais pas à dormir. Et j'y ai trouvé un beau cadeau, dans les dernières pages, sous la forme de l'adieu de Gracq à sa ville de Nantes. Elles sont parmi les plus belles pages que j'ai lues.

« En fait, , cette séparation n’eut pas lieu à la fin de ma dernière année scolaire à Nantes, dans le brouhaha rituel de la distribution des prix, lequel me sembla n’ouvrir une fois de plus mécaniquement, comme les années précédentes, que sur les seuls deux mois et demi de vacances réglementaires. Elle eut lieu l’année suivante, lorsqu’après une année déjà passé à Paris, je partis pour Londres où je devais perfectionner mon anglais pendant les grandes vacances. Je quittais la France pour la première fois : je me souviens avec une netteté particulière de ce départ ; je m’en suis souvenu quand j’ai écrit le début du Rivage des Syrtes. Je devis prendre de très bonne heure à Nantes l’express Bordeaux - Dieppe, qui faisait halte à la gare de l’Etat, et j’avais demandé l’hospitalité pour une nuit encore à ma grand’tante, qui m’avait servi de correspondante toutes mes années de lycée. Quand je poussai une dernière fois derrière moi la porte du jardinet de la rue Haute – Roche, le jour qui se levait avait cette rémission limpide, bénigne, d’après-matines, encore peuplée par le seul chant des oiseaux, qu’évoque toujours pour moi le titre d’un roman d’André Dhôtel que je n’ai pas lu : Les rues dans l’aurore. Un tramway descendait à vide la route de Rennes, avec le bourdonnement isolé d’une première abeille sur sa ligne de vol. Le vide des rues au petit matin, dont je prenais conscience pour la première fois, me paraissait magique ; il faisait merveilleusement frais et calme, je marchais dans la ville comme on marche dans les allées mouillées d’un jardin, avant que la maisonnée se réveille. Arrivé au pont Morand, je pris par le quai des Tanneurs et le quai d’Orléans ; quand je traversais l’île Feydeau, un rai de soleil jaune-rose, sur ma droite, atteignait l’extrême bord supérieur des façades. La ville, rue après rue, prenais congé de moi, souriante ; le temps en était venu ; ce qui flottait sur cet adieu, c’était un sentiment de légèreté sans ombre ; nous étions quittes, et nous nous trouvions à l’unisson dans cette chanson d’aube si insouciante : je n’avais pas été heureux ici, mais je ne quittais pas le port sur lest ; j’avais beaucoup engrangé. Je regardais avec amitié les rues silencieuses, les sinuosités creuses, familières, du moule que j’allais maintenant évacuer : ce n’était pas là seulement une ville où j’avais grandi, c’était une ville où, contre elle, selon elle, mais toujours avec elle, je m’étais formé. »

Je crois que j’aurais aimé vivre un moment comme celui là et être capable de le retranscrire aussi pleinement, précisément.

Aucun commentaire: