mardi 26 juillet 2016

Déception


J'ai éprouvé finalement une petite déception à la lecture de L'amour conjugal de Moravia. Je n'ai pas ressenti le choc de la lecture du court passage que j'évoquais précédemment. Il y a tout de même de belles pages, comme cette description de la femme aimée, en ouverture du roman.
« Aimer, cela veut dire, entre bien d’autres choses, trouver du charme à regarder et à considérer la personne aimée. Et trouver du charme non seulement à la contemplation de sa beauté mais encore de ses défauts, qu’ils soient rares ou non. Dès les premiers jours de mon mariage, j’éprouvai un inexprimable plaisir à regarder Léda ( c’est ainsi qu’elle se nomme ), à épier son visage et toute sa personne dans ses moindres mouvements et ses plus fugitives expressions. 
Ma femme, quand je l’épousai, avait à peine plus de trente ans. ( Depuis et après avoir mis au monde trois enfants, quelques-uns de ses traits ont, je ne dirai pas changé, mais se sont en partie modifiés. ) D’assez haute stature quoique vraiment pas très grande, elle était belle, avec un corps et un visage assez loin de la perfection. Sa figure longue et mince avait cet air fuyant, égaré, presque impénétrable qu’ont parfois les déesses classiques dans quelques médiocres tableaux anciens dont la peinture incertaine est rendue plus hésitante encore par la patine du temps. Cet air singulier, cette beauté insaisissable qui, tel un reflet de soleil sur un mur, ou l’ombre d’un nuage au-dessus de la mer, pouvait à chaque instant s’effacer, lui venait sans doute de ses cheveux d’un blond métallique, toujours un peu défaits, dont les longues mèches évoquaient l’envol de la peur, la fuite, envol aussi de ses yeux bleus, immenses, légèrement obliques, avec leur pupille dilatée dont le regard humble et flottant suggérait, comme la chevelure, un état d’âme craintif et fuyant. 
Elle avait le nez long, droit et noble et une grande bouche rouge dont la lèvre inférieure ourlait largement un menton trop petit et dont la ligne extrêmement sinueuse évoquait une sensualité lourde et sombre. C’était un visage irrégulier et cependant très beau, d’une beauté comme je l’ai dit, insaisissable qui, dans certains moments et certaines circonstances – on le verra plus loin – devenait évanescent. 
Il en était de même de son corps. Elle avait le buste maigre et délicat d’une jeune fille au contraire, la solidité, la force, l’épanouissement des hanches, du ventre et des jambes dénotaient une vigueur musclée et provocante. Mais cette disproportion, comme celle du visage, disparaissait sous la grâce d’une beauté qui, comme un air familier et impalpable ou une lumière mystérieusement transfigurante, l’environnait de la tête aux pieds d’un halo de perfection. C’est étrange à dire, mais parfois, en la regardant, il m’arrivait de penser à elle comme à une personne de traits et de formes classiques, sans défauts, toute harmonie, sérénité, symétrie. Au point que cette beauté, disons spirituelle, faute d’une autre appellation, m’exaltait et m’enchantait.»

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