samedi 23 juillet 2016

Fulgurances de Julien Gracq

C'est exactement pour cela que j'aime autant cet auteur. Il dit précisément ce qu'il faut, comme en témoigne ces extraits d'un entretien donné à Jean Carrière vers 1986.

"Je ne crois pas aux arrières - monde poétiques, je ne crois pas au "fuir là-bas, fuir !..." de Mallarmé, ni à cette idée de l'évasion par l'art qui sous-temps tout le romantisme français. Et qui s'exprime encore ouvertement à travers Baudelaire. Je me sens beaucoup plus d'accord avec la conception unitive qui me semble être celle de Novalis : le monde est un, tout est en lui ; de la vie banale aux sommets de l'art, il n'y a pas de rupture, mais épanouissement  magique, qui tient à une inversion intime de l'attention, à une manière tout autre, tout autrement orientée, infiniment plus riche en harmoniques, d'écouter et de regarder. Ce qui fait que la littérature (j'ai envie de dire plutôt : la poésie) est à prendre en effet extrêmement au sérieux, et à prendre au sérieux sans tristesse aucune, à cause de son immense, et quotidienne, capacité de métamorphose et d'enrichissement. Mais à une condition : ne pas confondre, si souhaitable que cela puisse paraître, les deux manière de regarder; savoir que l'expérience poétique, qui est une expérience vraie, et complète, n'est pas utilisable, n'est pas transposable directement dans l'univers pratique."
(...)
"Il y a dans l'enseignement secondaire français une discipline traditionnellement bifide qu'on a souvent moquée, comme une sorte de fourre-tout mal constitué, et qui s'appelle Histoire -et- Géographie (avec des tirets). J'ai assisté en son temps aux efforts, finalement victorieux, que déployait Emmanuel de Martonne pour les disjoindre, et pour faire créer une agrégation spécifique de géographie. Elle a été créé, mais elle n'a rien changé ; les mêmes maîtres, dont j'ai été, continuent à enseigner - toujours avec des tirets - l'histoire-et-géographie.
C'est qu'il y a là en réalité une jointure solide, un continuum de nature en grande partie imaginative (même si l'une est susceptible de vérifications successives, histoire et géographie, à chaque moment, n'ont d'existence l'une et l'autre que dans l'imagination).Capable de résister à la dissection. Avant, bien longtemps avant de l'enseigner, dès mes années de lycée, le continuum Histoire-et-Géographie a été pour moi une réalité familière, une référence spontanée : c'est la forme concrète que revêtent pour moi spontanément l'espace et le temps, c'est le canevas unifié continu sur lequel se projettent pour moi d'eux-mêmes aussi bien les évènements que mentionnent le journal que les fictions que j'imagine."

Aucun commentaire: